Serge Zaka, agro-climatologue indépendant
Interview

Serge Zaka

Agro-climatologue indépendant
« On doit dès aujourd’hui anticiper l’évolution des paysages agricoles en lien avec les changements climatiques »
Interview publiée le 19 septembre 2024

Serge Zaka est agro-climatologue. Une spécialité à part qui mêle l’agronomie et les sciences du climat. Son cœur de métier : cartographier l’évolution géographique des zones de cultures en fonction des changements climatiques. Les études qu’il produit permettent à qui souhaite s’en emparer, d’anticiper les actions à entreprendre dès à présent pour adapter notre production agricole aux modifications climatiques à l’œuvre. De la vigne en Bretagne, des pommes Golden dans le Nord-Est ou encore des citronniers à Bordeaux… Telles sont quelques-unes des hypothèses que Serge Zaka entrevoit dans sa boule de cristal. Chasseur d’orage et jardinier amateur à ses heures, le scientifique s’est prêté au jeu des questions de Plan Bio.

Quel bilan « climatique » tirez-vous de l’été qui est en train de s’achever ?

On sait déjà que l’année 2024 sera probablement la plus chaude jamais observée à l’échelle du globe. Qu’il s’agisse d’ailleurs de la température de l’air ou de celle des océans. En Europe, certains pays du pourtour méditerranéen, comme l’Italie ou la Grèce notamment, ont subi des chaleurs records. Avec des conséquences parfois désastreuses sur la production agricole mais aussi sur les forêts qui ont été cette année encore ravagées dans la région d’Athènes.

L’Hexagone n’a manifestement pas connu le même sort. Peut-on s’en réjouir ?

La France a été protégée de ces sécheresses du fait de dépressions qui se sont positionnées au-dessus du territoire durant le printemps et l’été. Le changement climatique n’en demeure pas moins à l’œuvre. Si les forêts ont pu souffler en 2024 après cinq années de fortes chaleurs, certaines cultures ont néanmoins souffert. C’est le cas du blé dont la croissance a été perturbée des semis à la récolte par l’excès d’eau. Avec des baisses de rendement jusqu’à 30 %. Les fortes pluies et les invasions de mildiou qui vont avec ont par ailleurs lourdement impacté l’activité maraîchère et viticole.

Comment ces aléas, qui chaque année tendent à devenir plus fréquents, impactent notre paysage agricole ?

Ce qu’on a connu n’existe déjà plus : la ligne de climat méditerranéen remonte jusqu’à Lyon et Bordeaux, tandis que Paris s’approche du climat bordelais. La production agricole n’a d’autres choix que de suivre le mouvement. Les évolutions sont à la fois spatiales mais aussi temporelles avec des dates de floraisons de plus en plus précoces. A termes, la tomate va devenir de moins en moins adaptée aux chaleurs estivales dans le sud mais deviendra plus intéressante à cultiver au printemps, à l’automne voire même en hiver sous serre non chauffée. De façon générale, le sud va perdre en capacité de maraîchage l’été. Au profit de la Bretagne par exemple qui présente un fort potentiel de développement sur ce type de culture.

De quelle manière s’emparer de ces différents constats ?

On doit dès aujourd’hui anticiper l’évolution des paysages agricoles en lien avec les changements climatiques. Restons en Bretagne. Depuis quelques années les vignes se sont développées sur ce territoire et on voit déjà arriver les premières bouteilles. Sauf que l’implantation n’est pas aisée. Cet été, les conditions n’ont pas été favorables et les cultures ont souffert. Les vignerons savent très bien que les premières récoltes seront compliquées. En anticipant, ils s’assurent d’être prêts quand les effets du réchauffement seront installés. Aujourd’hui, les vignes s’enracinent. C’est un bel exemple d’anticipation.

L’évolution des pratiques culturales est-elle aussi un axe à travailler ?

Il va sans dire. Il est essentiel de développer le recours à une production qui participe à la protection de l’environnement (l’agriculture biologique), des sols et du climat (agriculture de conservation et agroforesterie). Ces deux derniers modes de production sont encore confidentiels. Et pourtant on a besoin de préserver la biodiversité el la capacité des sols à stocker l’eau et le carbone. Et pour tempérer le climat de la parcelle, la plantation d’arbres et de haies est une méthode qu’on sait très efficace. Aujourd’hui, les politiques agricoles ne soutiennent pas ou pas assez ce type d’agricultures. Les décideurs doivent changer de logiciel sur le sujet.

Les décideurs politiques ont-ils pris la mesure des enjeux ?

Le ministère de l’agriculture travaille sur l’évolution des zones de répartition agricole en France depuis un an environ. Avec pour le moment un focus plus particulier sur l’abricot, la noix et la pomme. La volonté est là mais c’est encore balbutiant. Sur le terrain, la production et la transformation, voire même la distribution, commencent à se pencher sur le sujet. A la lumière des projections que la science fournit, les acteurs ont la main pour mettre en place les expérimentations qui vont bien. Et qui façonneront peut-être notre futur paysage agricole. 

Erwan Le Fur
Journaliste - Partner

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