San Nicolao – 29 octobre 2024. Muni de son sécateur, le saisonnier libère les clémentines de leur branche d’un geste précis et rapide, puis les collecte dans un panier. « Il faut prendre soin à cette étape de ne pas sectionner la tige trop à ras afin de ne pas blesser le fruit, explique Patrick Berghman propriétaire du verger de 33 hectares, situé à une quarantaine de kilomètres au sud de Bastia. La tige doit aussi être suffisamment courte pour ne pas abimer les autres fruits lors du transport ».
400 tonnes récoltées par année
Depuis le début de la journée, c’est un ballet incessant auquel le visiteur assiste. Une quinzaine d’ouvriers agricoles qui s’affairent entre les rangs d’arbustes pour collecter les clémentines et remplir les bacs de récolte. Ces derniers seront ensuite acheminés jusqu’à la station de conditionnement, à un jet de pierre du verger. L’exploitation de Patrick Berghman produit environ 400 tonnes du précieux fruit, exclusivement en bio et destiné aux points de vente du réseau spécialisé, principalement sur le continent.
L’appellation d’origine « clémentine de corse » bénéficie d’une IGP depuis 2007. Chaque année, quelque 30 000 tonnes sont récoltées sur l’île soit la quasi-totalité de la production française de ce petit agrume. Au total, plus de 1 600 hectares bénéficient de cette IGP pour 180 producteurs concernés et 26 stations de conditionnement implantées sur le territoire. La surface agricole dédiée à la production bio représente près de 25 % de cette surface.
Patrick Berghman est propriétaire de l’exploitation, reprise à son père, depuis 1984. A l’époque, le domaine s’étend sur 22 hectares et ne produit que des clémentines en conventionnel. « Ma première décision a été de diversifier les cultures afin de gagner en rentabilité ». La clémentine corse ne bénéficie alors pas de sa notoriété actuelle et sa culture ne suffit pas à garantir la rémunération de l’exploitation.
La bio comme levier de développement
L’agriculteur, par ailleurs vice-président d’Inter Bio Corse, opte pour le kiwi et l’avocat mais face à la concurrence des productions espagnoles et italiennes, l’entreprise ne parvient pas à trouver son équilibre. En 1990, Patrick Berghman fait le choix de convertir l’ensemble de son verger en bio. « Les connaissances sur les techniques de l’agriculture biologique étaient bien moins développées et bien moins accessibles qu’elles ne le sont aujourd’hui », se souvient-il.
Après plusieurs années de tâtonnements, d’expérimentations et de récoltes décevantes, les rendements s’améliorent et le producteur trouve la clé de la rentabilité. « A partir de ce moment-là, j’ai réellement pu développer l’exploitation. J’ai loué de l’espace supplémentaire, j’ai continué de planter en prenant soin de toujours diversifier les espèces. J’ai connu quelques bonnes années et j’ai même pu acquérir du terrain [11 hectares sur les 33 dont dispose l’exploitation, ndlr] ».
Deux entités distinctes de mise en marché
En parallèle, Patrick Berghman met sur pied une activité de commercialisation qui s’appuie sur deux stations de conditionnement. Une première qu’il loue depuis 2011 et une seconde, baptisée Femu Bio (littéralement « faisons la bio »), lancée en 2019. Le bâtiment appartient à parts égales à la « SAS Berghman » et à la société Agrucorse. Ce faisant, les deux entités ont endossé le rôle de metteur en marché pour Terre d’Agrumes, une organisation de producteurs regroupant une quarantaine d’exploitations dont 11 qui adhèrent au cahier des charges AB.
Forts de cette capacité de production, la SAS Berghman approvisionne les spécialistes de la bio du continent et Agrucorse la grande distribution. L’année dernière cette filière a sorti plus de 1 300 tonnes de clémentines, 600 tonnes de pomelos, 50 tonnes de citrons, 15 tonnes de noisettes, une dizaine de tonnes d’oranges et 200 tonnes de kiwis, tous estampillés bio.
La production reprend la main sur les prix
« Jusqu’au début des années 2010, explique Patrick Berghman en déambulant parmi ses clémentiniers, nos produits n’étaient pas suffisamment valorisés. Il a fallu qu’on prenne en main la commercialisation pour améliorer la situation. Aujourd’hui, nous disposons d’entrepôts sur le continent et nous négocions nous-mêmes nos prix. Ça change considérablement les choses au niveau de la rémunération des producteurs ».
Pour l’heure, l’entrepreneur affiche un optimisme modéré quant à la récolte 2024 : « La semaine passée a été très pluvieuse, soupire-t-il. La qualité des clémentines récoltées sur le domaine ne semble pas avoir été altérée jusqu’à présent mais j’ai plusieurs sons de cloche inquiétants de la part de mes confrères ». Le réchauffement climatique ? Il le constate et s’en inquiète. Des automnes trop chauds qui trainent en longueur, des hivers exceptionnellement doux et des étés caniculaires… les manifestations ne manquent pas.
Le réchauffement climatique en embuscade
« Sur certaines cultures, les plants n’entrent plus en dormance. Les rendements en kiwis par exemple sont déjà clairement affectés ». La clémentine, quant à elle, voit son niveau d’acidité, un marqueur fort de sa signature gustative, diminuer récoltes après récoltes. Au point que certains producteurs se sont déjà lancés dans des essais sur la mangue ou encore les fruits de la passion, rapporte Patrick Berghman. De quoi diversifier la filière française de fruits exotiques. A bientôt 75 ans, l’entrepreneur ne participera probablement pas à cette nouvelle aventure. Lui qui, de son propre aveu, serait plutôt enclin à passer le relais. Avis aux repreneurs…