C’est un plan ambitieux qu’a annoncé Carrefour la semaine dernière. D’ici 2026, le groupe va investir 3 milliards d’euros dans le digital, et dans le même temps, veut générer 10 milliards d’euros de volume d’affaires grâce à l’e-commerce. Par cette annonce, réalisée à l’occasion de son digital day mardi 9 novembre, le groupe annonce à demi-mot une évolution culturelle d’entreprise, qui désormais, sera « digital first ». La vision du PDG de Carrefour, Alexandre Bompard, est claire : propulser Carrefour au rang de leader mondial du ‘digital retail’. On notera, au passage, qu’il s’agit là d’une grande spécialité d’Alexandre Bompard, artisan en chef de l’entrée de la Fnac dans l’ère du digital, face au géant américain Amazon, lorsqu’il en était PDG entre 2011 et 2017.
Dans l’univers de la bio, notamment parmi les distributeurs spécialisés, d’aucuns pourraient penser que cette évolution chez Carrefour ne les concerne pas, ou alors de loin. Certes, les stratégies de développement d’une enseigne à l’autre diffèrent, les atouts des spécialistes sont nombreux face aux GMS, et leurs implantations géographiques pourraient permettre de contourner les ‘creux’ des zones de chalandise couvertes ou non par Carrefour. Mais cela pourrait bien ne plus suffire.
Un mastodonte du bio en France
Eût-il été nécessaire de le rappeler, le groupe Carrefour est un poids lourd du bio en France qui, de fait, a un impact sur les plus petites structures spécialisée dans la distribution bio. A l’échelle du groupe, le distributeur a en effet a généré 2,7 milliards d’euros de ventes par le bio en 2020, contre 2,3 milliards un an plus tôt et 1,8 milliard en 2018. Chaque année, ses performance sur le bio augmentent. Et en 2022, il espère atteindre 4,8 milliards d’euros de ventes de produits bio.
Sa MDD dédiée, Carrefour Bio, pèse lourd dans le paysage du bio. « Notre MDD Carrefour Bio est une marque milliardaire. Elle est de très, très loin, la première MDD vendue en GMS. C’est une marque historique que Carrefour a fait le choix de développer, et qui compte aujourd’hui 1 150 références en France, auxquelles s’ajoutent 250 références de produits d’hygiène et de cosmétique, et même du textile », rappelait Benoît Soury, directeur du marché bio de l’enseigne, dans le cadre des Bio N’Days au mois de juin dernier.
De plus, comme bon nombre d’entre vous le savent bien, l’empreinte de Carrefour sur le bio s’étend bien au-delà de ses magasins de proximité, de ses supers et même de ses hypermarchés. Le distributeur a racheté à la fin de l’année 2020 la centaine de magasins du spécialiste Bio C’ Bon, tout en continuant d’accélérer le développement de sa seconde enseigne spécialisée : So.bio, qui vient d’ouvrir son 54e magasin. Parallèlement, le pure player Greenweez, dont Carrefour est également propriétaire, a annoncé au mois de mars dernier avoir passé le cap des 100 millions d’euros de chiffre d’affaires, en hausse de 60%.
Cela peut paraître encore peu en comparaison du top 3 composé de Biocoop, Naturalia et La Vie Claire, ce dernier ayant réalisé 385 millions d’euros de ventes en 2020, mais Greenweez parvient à démontrer qu’un pure player spécialisé en bio n’a pas à rougir de sa performance face aux enseignes historiquement bien installés sur leurs territoires.
Le bio, véritable atout dans sa stratégie d’e-commerce alimentaire
En l’espace de quatre ans, le groupe de distribution affirme avoir triplé son activité d’e-commerce alimentaire, « surperformant en moyenne de 15 points par an la croissance de ses marchés ». Pour l’année 2021, il prévoit un volume d’affaires via le Web de 3,3 milliards d’euros, et fait suffisamment rare pour être souligné, ses activités d’e-commerce « tendent vers l’équilibre ».
Sur son site marchand français, Carrefour.fr, le bio figure en première place des rayons de type alimentaire. Son offre est large et comprend près de 4 000 références, à titre de comparaison, Naturalia.fr en revendique 6 000 sur sa nouvelle plateforme Web. En juin 2020, Carrefour.fr s’en en outre dotée d’une place de marché, afin d’accueillir des vendeurs tiers. Sur la catégorie du bio, elle compte environ 460 références et une petite quarantaine de commerçants partenaires. C’est encore embryonnaire, mais nul doute que le distributeur entend bien faire progresser cette proportion de produits issus de vendeurs tiers au sein de son offre online.
N’en déplaise aux plus réfractaires, le Web est un canal de ventes qui progresse année après année sur les produits alimentaires. En 2020, de manière plus générale, l’e-commerce des PGC en France a fait un bond passant d’une part de marché de 8% en 2019, à 11% en 2020, soit l’équivalent de 11 milliards d’euros de ventes, selon des chiffres GFK relayés par la Fédération du e-commerce (Fevad). Quand bien même ce résultat est en partie imputable aux mesures liées à la crise sanitaire, il n’en atteste pas moins d’une tendance qui sera amenée à durer et à se développer, tant les usages des Français en termes de mode de consommation ont été chamboulés par la Covid-19. L’an passé, 30 % des e-acheteurs ont acheté des produits alimentaires en ligne contre 21 % en 2019. Le résultat en est le suivant : le poids de l’e-commerce alimentaire équivaut désormais à celui de la distribution de proximité, estimé à 11 milliards par IRI Vision en 2017.
Livraison express et ‘quick commerce’, nouveaux fers de lance du digital de Carrefour
Au-delà de continuer à développer ses drives, qui reposent sur l’e-commerce, Carrefour entend s’imposer comme le leader dans les formats qu’il considère comme étant à plus forte croissance : la livraison express, qui garantit une livraison à domicile en moins de trois heures, et le ‘quick commerce’ dont la promesse est de livrer les clients en moins de 15 minutes, et qui a vu une foultitude de nouveaux acteurs débarquer sur ce terrain en l’espace de quelques mois. Citons pêle-mêle Gorillas (pour lequel Casino vient d’annoncer une prise de participation au capital), Dija ou encore Flink.
Et évidemment, Carrefour n’est pas en reste. au début du mois de septembre dernier, l’enseigne est entrée au capital de la startup spécialisée dans la livraison de courses en 15 minutes, Cajoo, via une levée de fonds de 40 millions d’euros. De cette alliance, à laquelle s’est greffée un partenariat avec Uber Eats, vient de naitre le service « Carrefour Sprint » : près de 2 000 produits alimentaires et non alimentaires dont des produits frais, des fruits et légumes de saison, mais aussi des plats cuisinés, des surgelés, des boissons, des produits d’hygiène et d’entretien ainsi que des produits de la marque Carrefour livrés en moins de 15 minutes par Uber Eats.
Or, comme l’on pouvait s’y attendre, le bio a toute sa place dans ce nouveau service, avec là encore, une rubrique dédiée « Tout le bio », et une offre qui varie selon le magasin qui y est associé. A titre d’exemple, Carrefour Market situé dans le 19e arrondissement de Paris propose un peu plus de 170 références bio sur l’application mobile. Si « Carrefour Sprint » couvre dans un premier temps Paris intra-muros ainsi que Boulogne, Neuilly et Levallois via l’application Uber Eats, grâce à l’ensemble du réseau de dark stores de Cajoo, elle sera disponible d’ici la fin de l’année dans au moins 5 autres agglomérations, à savoir Lyon, Bordeaux, Toulouse, Lille, et Montpellier.
Et là n’est pas tout, puisqu’au mois d’avril dernier, grâce à un partenariat avec la startup Deliveroo, Carrefour a lancé la livraison à domicile de courses en moins de 30 minutes à Paris, d’abord, puis dans une une dizaine d’autres villes dans les prochains mois. Sur l’application Deliveroo, l’utilisateur n’a qu’à sélectionner le magasin Carrefour le plus proche de chez lui, pour accéder à une offre qui comprend (aussi) des produits biologiques, notamment sous la marque Carrefour Bio.
Vous l’aurez compris, la bataille du digital, et a fortiori du ‘quick commerce’, aura lieu dans les centres-villes, où environ deux tiers des magasins biologiques de réseaux sont implantés, et qui doivent déjà composer avec une concurrence forte des enseignes de proximité de la GMS, mais aussi de l’e-commerce ou encore des drives piétons fréquentés par près de 700 000 ménages l’an passé pour un panier moyen de 53 euros (Source : IRI). Mis bout à bout avec les services de type ‘quick commerce’, le digital apporte à la fois de la flexibilité et une grande fluidité d’achats pour les Français qui y ont recours, et qui n’hésitent plus à jongler avec les différentes circuits de distribution.
A travers sa nouvelle stratégie digitale, Carrefour sera désormais capable de répondre à l’ensemble de ces différents enjeux, tout en adressant les nouveaux besoins qui en découlent. Déjà très investi sur le secteur du bio, Carrefour pourrait bien impacter encore plus fort l’univers de la bio spécialisée, tant le distributeur mise beaucoup sur l’enjeu clé de la transition alimentaire.