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[OPINION] Le bio est-il victime du « manger sain, responsable et durable » ?

Publié le 16 janvier 2023
[OPINION] Le bio est-il victime du « manger sain, responsable et durable » ?

Selon le proverbe populaire, le mieux est l’ennemi du bien, et le bio pourrait bien en être une victime. En 2021, pour la première fois de son histoire, le marché bio en France a connu une baisse. Légère, certes, de 1,3% mais il y a fort à parier que l’année 2022 s’inscrive dans la même tendance, notamment au regard des premiers chiffres qui commencent à tomber. Selon IRi international, les ventes en volume de produits bio ont en effet chuté de 7,8% en 2022. Quand bien même l’inflation alimentaire pourrait partiellement compenser le montant total des ventes de produits biologiques, ce ne serait donc qu’un trompe l’œil.

Image prix, multiplication des labels, montée en puissance du local

Multifactorielles, les raisons de la baisse des volumes de ventes sont désormais connues, et ne font (presque) plus débat. En premier lieu, l’impact de l’inflation sur les consommateurs et sur leur pouvoir d’achat. Souffrant d’une image prix jouant en sa défaveur, encore perçu comme étant commercialisé à des tarifs trop élevés, le bio pâtit clairement de cette réputation, dans une conjoncture en proie à une hausse généralisée des prix.

Autre élément, la multiplication des allégations et autres labels sur les produits dans l’alimentaire. Entre le label HVE, Zéro Résidu de Pesticides, La Nouvelle Agriculture, Bleu Blanc Cœur, ou encore les indications de teneurs réduites en sel ou en sucre, le sans nitrites, mais aussi les différents scorings apposés sur les packagings tels que le Nutriscore, l’Eco-score ou le Planet-score… Le label bio ne parviendrait plus à tirer son épingle du jeu, les consommateurs nageant en pleine confusion lorsqu’il s’agit d’arbitrer en faveur de tel ou tel autre produit aux vertus ouvertement revendiquées. Enfin, les produits bio doivent composer avec la montée en puissance du « local », dans les critères d’achat déterminants pour les consommateurs qui souhaitent injecter de la « responsabilité » dans leurs achats.

Aider les Français à mieux manger

Cette analyse dans les détails, ne met toutefois pas le doigt sur une tendance plus générale, massive, avec laquelle le bio, qui résonne d’abord pour les Français comme un label de qualité recouvrant des produits « bons pour la santé » – avant d’être bons pour la planète -, doit aussi composer et parvenir à se démarquer.

Il s’agit d’un positionnement, adopté par de nombreux acteurs qui opèrent dans le commerce alimentaire, à commencer par les grands distributeurs, même si cela se vérifie aussi auprès de nombreuses marques : il s’agit d’aider les Français à mieux manger, grâce à des produits sains, de qualité, responsables et/ou durables. En somme, des notions dont se revendique le bio, s’appuyant notamment sur le cahier des charges le plus exigeant de la production agricole, depuis ses débuts.

Qualité, fraicheur, durabilité, responsabilité

Concrètement, pour les acteurs du conventionnel qui font le choix d’un tel positionnement, cela consiste à valoriser la qualité des produits, leur fraîcheur, mais aussi leur durabilité, ou encore des engagements avec l’amont, dans le soutien aux filières, par exemple avec la signature de contrats tripartites et/ou pluriannuels.

Entendons-nous, il ne s’agit pas ici de qualifier ces positionnements de simples postures ou comme étant véritablement incarnées, mais de démontrer qu’ils sont un phénomène massif, un fil rouge dans la communication et le positionnement de nombreux acteurs de l’alimentaire, qui peut se répercuter sur les arbitrages alimentaires des consommateurs. Et par ricochet, sur les produits biologiques et les difficultés que rencontre le secteur à attirer de nouveaux clients.

Un positionnement adopté par de nombreuses enseignes

Sur cette base, et pour illustrer le propos, tournons-nous vers les enseignes de grande distribution. On y trouve quelques exemples, dont les engagements sont décrits de manière claire dans les présentations corporate, ou sur leur site Internet, et se retrouvent a fortiori dans leur communication auprès des consommateurs. Rappelons ici que, dans le top 10 des plus gros annonceurs en France selon Kantar (au S1 2022), figurent les enseignes Lidl (en tête), E.Leclerc, Intermarché, mais aussi Carrefour.

Cette dernière s’emploie, depuis 2018, à rendre « accessible à tous une alimentation saine, de qualité, produite de façon durable », à travers son programme « Act For Food ». On le sait, Carrefour a déployé de gros efforts pour mettre en avant le bio dans ses magasins ces dernières années, jusqu’à pouvoir se revendiquer être aujourd’hui le plus gros vendeur de bio en France. De fait, il l’est.

Toutefois, dans sa nouvelle stratégie, présenté au mois de novembre dernier, le PDG de Carrefour Alexandre Bompard, a déclaré vouloir générer pas moins de 8 milliards d’euros de chiffre d’affaires grâce aux produits « durables ». Qu’entend le distributeur par « produits durables » ? Les produits bio, mais aussi les produits vendus en « Filière Qualité Carrefour », les produits issus de l’agroécologie, ceux provenant de la pêche durable, (ASC-MSC) ou issus du sourcing portant sur les forêts durables (label FSC).

Lidl veut proposer une offre « toujours plus responsable et durable »

Autre exemple, Lidl, dont la signature de marque « Le vrai prix des bonnes choses » met en effet l’accent sur son positionnement prix, mais aussi sur… « les bonnes choses ». Le distributeur allemand fait valoir dans sa présentation corporate « la qualité et la fraîcheur » de ses produits, mettant en avant les produits régionaux, saisonniers, les articles bio et issus du commerce équitables avec des aliments végétariens.

Son directeur des achats pour la France, Michel Biero, notait d’ailleurs très récemment sur son profil LinkedIn qu’avec Lidl France, « nous continuerons à œuvrer pour proposer une offre de plus en plus responsable et durable ». Pour l’enseigne Grand Frais, l’engagement porte notamment sur des « bons prix », « mais pas au détriment de la qualité » : « Toujours en quête de garantir des produits frais tout en conservant la qualité, nous veillons à ne pas interrompre la chaîne du froid ». Ici, qualité des produits est affaire de considérations sanitaires.

Auchan milite pour le bon, le sain, le local. Gérard Mulliez, penche pour le bio et la permaculture

Chez Auchan, on retrouve également tous les mots-clés qu’il faut pour valoriser un assortiment. Là, on se présente comme « des acteurs responsables, des militants du bon, du sain et du local. Nous sommes un exemple par la qualité de nos produits exclusifs, notre offre sélectionnée, nos prix discount et l’excellence de l’expérience client », peut-on notamment lire sur la plateforme du groupe.

Récemment, dans une interview donnée au quotidien La Voix du Nord, relayé par le site de BFMTV, le patriarche et fondateur de l’entreprise familiale, Gérard Mulliez, s’est montré beaucoup plus tranché sur la question, se faisant le chantre de l’agriculture biologique et de la permaculture. On pourrait citer d’autres exemples comme le groupe Casino, où la notion de « mieux consommer » consiste à proposer des produits dits « responsables », et affiche en commercialiser plus de 32 800, « certifiés responsables », dans ses magasins.

Chez Intermarché, mieux manger, « ça peut être simple », assure l’enseigne, « il suffit de choisir les bons produits ». Ce faisant, le producteur et commerçant dit s’engager « à mieux produire pour que vous puissiez mieux manger au quotidien : bio, HVE, produits fabriqués en France, lait de pâturage, meilleure rémunération des agriculteurs partenaires ou encore réduction de nos emballages ».

Teract se fait chantre de la consommation durable, alternative et responsable

Autre exemple, probablement le dernier en date, le groupe Teract. Né du mariage entre InVivo Retail et 2MX Organic, le groupe regroupe un réseau d’enseignes de la jardinerie/animalerie et de l’alimentaire (Boulangerie Louise, Grand Marché La Marnière, Frais d’Ici, Bio&Co). Elles sont présentées comme des enseignes répondant « à l’envie d’une consommation nouvelle génération synonyme de qualité, de durabilité et de traçabilité ». La politique RSE de Teract est claire : il s’agit de « placer la consommation durable, alternative et responsable au cœur » de sa philosophie.

On voit bien, à travers ces différents exemples, que les notions de produits sains, de qualité, responsables et/ou durables, peuvent couvrir divers types de produits, de labels ou d’allégations selon les enseignes, tout en présentant des périmètres à géométrie variable, à travers des notions qui, au fond, ne revêtent pas toujours le même sens selon l’acteur qui les brandit. Pour autant, toutes ces enseignes se réclament, a minima, de l’une d’entre elles.

Questionner le « manger sain et durable »

Nécessairement, cela renvoie à interroger les notions de qualité des produits, de durabilité, de responsabilité, de « manger mieux » ou manger « sainement ». S’agit-il de l’aspect organoleptique ? Des pratiques agricoles employées ? De leur caractère diététique ? D’approvisionnements sur la base de circuits les plus courts possibles ? Ou encore tout à la fois ?

En l’absence de définition claire mais surtout consensuelle de chacune d’entre elles, on peut aisément imaginer que tout le monde ou presque, puisse aisément se réclamer de telle ou telle autre vertu. In fine, il revient aux consommateurs de faire le tri, mais en-est il seulement capable ? Non pas au sens intellectuel du terme, bien évidemment, mais au sens informationnel.

Autrement dit, a-t-il un niveau de connaissance suffisamment fin des stratégies et des positionnements de chacun.e pour faire la part entre par exemple la qualité des produits perçue au sens sanitaire du terme, et la qualité que certains pourraient considérer comment étant relatives à l’utilisation de modes de production exempts de produits phytosanitaires de synthèse.

Dans un contexte où la transition alimentaire, et la souveraineté alimentaires sont replacées au cœur de l’arène politique, tout en faisant partie des préoccupations des consommateurs, ce phénomène d’appropriation par chacun des notions de qualité, de sain, de durable ou de responsable, laisse de moins en moins de place au bio pour émerger comme le label qui garantit un caractère véritablement mieux-disant sur ces différents items.

De communication, il est alors question pour le bio. Mais surtout de pédagogie, qui résonne ici comme un maître-mot pour espérer dissiper la confusion qui semble régner dans l’esprit des consommateurs.

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François Deschamps
Rédacteur en chef de Plan Bio
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