C’est un rapport qui pourrait bien créer des remous. Dans un document de 350 pages – dont un peu plus de 170 dédiées aux annexes et une cinquantaine aux réponses de diverses entités telles que les interprofessions -, la Cour des Comptes dresse un constat sans équivoque sur le dispositif global mis en place par la France afin de soutenir le développement de l’agriculture biologique. La Cour, qui a pour mission principale de s’assurer du bon emploi de l’argent public et d’en informer les citoyens, juge en effet « insuffisante » la politique nationale, en ceci que depuis 2010, les programmes d’action successifs n’ont pas permis d’atteindre les objectifs de 15% des terres agricoles en bio – mais à 10% -, ni de 20% de bio dans les cantines publiques en 2022. Pour Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, « le rôle de la Cour, (…) était d’apporter l’éclairage objectif et impartial qui manquait encore sur ce sujet grand public, qui fait l’objet de nombreuses interrogations ».
Des bénéficies en termes de santé et d’environnement…
La Cour des Comptes rappelle notamment, « après une revue de détaillée de la littérature scientifique », les bénéfices de l’agriculture biologique en termes de santé et d’environnement. Elle va même plus loin en indiquant que son développement « est le meilleur moyen de réussir la transition agro-environnementale, et d’entrainer les exploitations agricoles dites conventionnelles vers des pratiques plus respectueuses de environnement ».
… Mais un manque de communication à leur sujet
Face à la concurrence croissante de labels « verts » moins exigeants – comme la mention valorisante « haute valeur environnementale » (HVE), et d’autre part à leur « illisibilité » qui contribue « à la baisse des achats d’aliments bio en 2021 », la Cour veut alerter les pouvoirs publics sur le manque de communication relatif aux impacts bénéfiques du bio. Faisant référence au label HVE, l’institution est sans appel et juge [cette mention] « peu exigeante en matière environnementale, (et pourtant, elle) est soutenue par le ministère au même niveau que l’agriculture bio ».
Le Plan stratégique national (PSN) dans le viseur
La Cour des Comptes dénonce également les aides issues de la politique agricole commune (PAC) consacrées comme n’étant « pas à la hauteur des objectifs qu’elle s’est fixés », et déplore la suppression de l’aide au maintien en agriculture bio. « La moitié de l’enveloppe a été consommée dès la première année de la programmation démarrée en 2015. En 2017, l’aide au maintien en agriculture bio a été supprimée, alors qu’elle rémunérait les services environnementaux de ces exploitations. Ainsi, un quart des exploitations bio ne touche pas d’aides de la PAC », écrit la Cour. Par ailleurs, les magistrats jugent également « insuffisants » le soutien aux industries agroalimentaires bio, ainsi que la R&D en agriculture biologique. « Ce décalage entre moyens et ambitions ne pourra pas se résorber dans la prochaine PAC à partir de 2023 si la France maintient le projet actuel de plan stratégique national, qui fait l’objet d’ultimes discussions avec la Commission européenne ».
L’enjeu de l’autonomie agricole française
Pour la Cour, la contribution de l’agriculture bio à l’autonomie agricole et alimentaire française dépendra de l’évolution de deux effets contraires : la meilleure autonomie des exploitations bio, qui contribue à réduire le déficit commercial, et leurs moindres rendements. « Ainsi, le développement de l’agriculture bio devra aller de pair avec davantage de recherche (pour améliorer les rendements), la réduction du gaspillage alimentaire et une évolution des régimes alimentaires vers moins de protéines animales ».
Enfin, dans le but de contribuer à atteindre les nouveaux objectifs fixés par la France (18% de surfaces agricoles bio en 2027) et par l’Union Européenne (25% de surfaces bio en 2030), la Cour des Comptes a formulé une série de 12 recommandations réparties en 3 orientations : « éclairer les choix des citoyens et des consommateurs sur l’impact environnemental et sanitaire du bio, réorienter et amplifier les soutiens publics de l’agriculture bio, favoriser enfin la création de valeur au sein du secteur agricole et alimentaire bio ».