Emily Mayer, Directrice des Études, institut Circana
Interview

Emily Mayer

Directrice des études, institut Circana
« La grande distribution continue de réduire assez drastiquement son offre en produits biologiques »
Interview publiée le 11 septembre 2024

Face à des ventes de produits bio en grande distribution qui continuent d’être orientées à la baisse, les enseignes ne sont pas encore parvenues à identifier la recette qui leur permettrait d’inverser durablement la tendance. La réduction de l’offre de produits bio permet aux distributeurs de se recentrer sur les produits les plus performants, mais présente un risque de taille : invisibiliser les produits labellisés dans les magasins, et continuer ainsi à nourrir la spirale de la décroissance. Quand le bio des grandes surfaces va-t-il renouer avec la croissance ? Les enseignes ont-elles réalisé suffisamment d’efforts sur la compétitivité prix des produits biologiques ? Y a-t-il des poches de croissance à exploiter ? Emily Mayer, directrice des études pour l’Institut Circana analyse l’état de santé du bio en GMS depuis début 2024, et se livre au délicat exercice de la prospective. Interview 

Comment les volumes de ventes en produits biologiques se sont comportés depuis le début de l’année 2024 au sein des enseignes de grande distribution ?

Il convient d’abord de rappeler quelques éléments historiques. L’année 2020 a été la dernière période de croissance pour les ventes en volume de bio dans les enseignes de grande distribution. Elle était alors de +13%, tandis qu’au cours des années précédentes, la croissance du bio avoisinait les +20%. L’année 2021 a marqué l’entrée en décroissance du bio, et cela s’accentue année après année : -7,3% en 2022, et l’année 2023 s’est terminée sur une chute des ventes de -12,2%. S’agissant de l’année 2024, au cours des huit premiers mois, les ventes de bio en volume ont baissé de – 6,8%. Par rapport à 2023, cette décroissance est quasiment réduite de moitié, néanmoins, le bio reste moins bien orienté que l’ensemble des produits de grande consommation qui pour leur part ne baissent que de -1,1%. J’ai le sentiment que le plus dur est passé, mais le bio en grande distribution n’est pas encore sorti d’affaires.

L’évolution constatée est-elle homogène dans toute la France ?

Dans les 95 départements observés, les volumes de ventes en bio sont en baisse en 2024. Là où l’on peut noter une meilleure résistance, ce sont les endroits où le bio est plus ancré dans la consommation. Notamment en Bretagne, dans les Hautes-Alpes et dans les Pyrénées-Atlantiques. A l’inverse dans la Somme, où le bio est moins ancré dans les achats, le retour en arrière est plus marqué.

Qu’en est-il des ventes en valeur?

L’inflation n’a plus autant d’effet qu’auparavant sur le chiffre d’affaires généré par le bio des grandes enseignes, donc le montant des ventes est moins influencé par l’inflation qu’en 2023 par exemple. Au cours de cette période, malgré des volumes en baisse de -12,2%, la baisse de chiffre d’affaires était limitée à -3%. Pour 2024, le déclin des volumes de -6,8% produit en parallèle une chute de chiffre d’affaires de -5%. Le ralentissement de l’inflation est pleinement lisible dans la baisse du chiffre d’affaires du bio.

« Nous avons démontré que le point d’équilibre entre une offre trop abondante aux performances parfois insuffisantes, et la réduction des assortiments opérés par les enseignes, était atteint. Il faut maintenant arrêter de retirer des références de produits bio. »

La grande distribution a-t-elle mené un travail suffisant autour de la compétitivité des produits biologiques ?

Le bio a toujours été plus cher, et ça ne l’a pas empêché de connaître des croissances à deux chiffres. En même temps, il y a une corrélation très forte entre le positionnement prix des enseignes et leurs performances. Et dans un contexte d’inflation et de pouvoir d’achat tendu, le bio qui est plus cher, n’est pas le sujet sur lequel on va mettre l’emphase. Ceci étant, nous suivons les écarts de prix entre le bio et le conventionnel, et nous n’avons pas vu de réduction, quand bien même il y avait un peu moins d’inflation sur les produits biologiques. S’il y a eu des efforts entrepris par les enseignes, ils ont probablement porté sur les marques de distributeurs, parce qu’elles ont été poussées de manière générale par les enseignes, et parce qu’elles ont eu la faveur des consommateurs.

Quelle évolution a connu l’inflation sur les produits biologiques ?

En moyenne sur les 8 premiers mois de l’année, il y a encore de l’inflation sur l’alimentaire (+1,5%) ainsi que sur le total des produits de grande consommation (PGC FLS +1,2%). Cela ne fait que trois mois que la tendance s’est inversée, avec l’arrivée d’une déflation sur le total des PGC, forte sur le DPH et plus timide mais lisible sur l’alimentaire. L’inflation se tasse aussi nettement sur les produits biologiques et la déflation a également fait son retour sur les produits bio DPH. A famille de produits comparables, bio et conventionnel suivent les mêmes tendances : la déflation est lisible en août par exemple sur les pâtes bio comme sur les pates conventionnelles, même chose sur l’alimentation infantile. A l’inverse, l’inflation est toujours de mise sur l’huile d’olive, sur les produits conventionnels comme sur les produits bio autour de +25% en août pour les 2 propositions.

Le bio du rayon DPH a-t-il suivi la même tendance qu’en alimentaire ?

Il s’agit du rayon au sein duquel le bio enregistre la plus mauvaise performance. La baisse des volumes atteint -13,5%. sur les 8 premiers mois de l’année. Toutefois cette tendance à replacer dans un contexte global difficile du rayon DPH qui ne se porte pas bien, et qui fait l’objet d’ arbitrages car les produits qui le composent sont moins indispensables que l’alimentation au quotidien des Français. L’impossibilité depuis le 1er mars de faire des promotions avec une gratuité supérieure à 34% ainsi que les réductions d’assortiments, plus fortes que sur l’alimentaire, n’a pas non plus aidé les produits, bio comme conventionnels, de ces rayons.

Y a-t-il des catégories de produits qui montrent malgré tout de la résistance ?

Le chiffre d’affaires généré par le bio dans l’épicerie ne baisse ‘que’ de 2% (et les volumes de 4%) sur les 8 premiers mois de l’année. Et mois après mois, la situation du bio s’améliore sur le rayon l’épicerie. Or, l’épicerie est en quelque sorte le bastion du bio en grande distribution, puisqu’il y pèse 6,2% du chiffre d’affaires total. Là où les produits sont bien implantés, là ou figurent des marques spécialistes, le bio se porte mieux. De plus, au sein de l’épicerie des catégories comme les sauces tomates, les pâtes à tartiner, le maïs en conserves, les légumes de salade en conserves, les volumes de vente sont en progression.

Les marques de distributeurs parviennent-elles à tirer leur épingle du jeu ?

Ce sont celles qui reculent le moins, avec une baisse des volumes de -3,6% depuis janvier, ce qui contraste avec la baisse globale. Les marques les plus en souffrance sont celles qui ne sont pas des spécialistes du bio et qui subissent une baisse volume de -16%. J’ai donc le sentiment que le marché en grande distribution se resserre sur ses points forts, et ce qui donne le plus de satisfaction aux consommateurs : les marques spécialistes, les marques de distributeurs et l’épicerie.

Notez-vous une inflexion du processus de rationalisation de l’offre de bio dans les magasins ?

La grande distribution continue de réduire assez drastiquement son offre en produits biologiques puisqu’au cours des huit premiers mois de l’année, celle-ci a encore diminué de -8% en moyenne et toutes enseignes confondues. Et je ne vois pas encore d’accalmie sur ce processus. Toutes les enseignes réduisent leur offre de bio, néanmoins, dans des proportions différentes. L’enseigne qui réduit le moins son offre l’a diminué d’environ -5% et celle qui procède le plus à des diminutions se situe à -15%. Mais la responsabilité ne vient pas que des enseignes, c’est aussi le fait de marques, souvent généralistes, qui se sont lancées ces dernières années sur le bio et décident d’arrêter des gammes car les performances ne sont pas forcément au rendez-vous. Et la corrélation entre la rationalisation de l’offre et la chute des ventes est très forte. Nous le voyons notamment par les études que nous menons en mettant face à face les magasins qui rationalisent le plus avec ceux qui rationalisent le moins, les ventes de bio ne sont pas du tout orientées de la même manière.

« Nous estimons que les volumes de ventes pourraient atterrir entre -5% et -6% en fin d’année. En 2025, le marché devrait encore être en négatif mais dans une moindre mesure, nous l’estimons autour de -2% et -3%.« 

Jusqu’où les enseignes doivent-elles aller ?

Nous avons démontré que le point d’équilibre entre une offre trop abondante aux performances parfois insuffisantes, et la réduction des assortiments opérés par les enseignes, était atteint. Il faut maintenant arrêter de retirer des références de produits bio. En effet, nous suivons la demande à la référence, et depuis plusieurs mois nous constatons que la demande sur les références bio qui restent en rayons, repart à la hausse. Cela montre que le marché est plus resserré et désormais sur des produits plus performants. Le problème désormais, c’est que les produits bio restants doivent être vus par les consommateurs dans des rayons qui sont immenses. Or, si les enseignes vont trop loin dans la réduction de l’offre bio, les produits qui vont rester, et qui pourraient très bien se vendre, risquent de ne plus être visibles par les consommateurs. Dès lors, on risque de voir à nouveau une baisse de la demande. Par ailleurs, le marché a besoin d’être musclé d’un point de vue pédagogique, en (ré)expliquant aux consommateurs l’intérêt de manger des produits biologiques. Un travail qu’a notamment su réaliser le circuit des magasins spécialisés et qui en récoltent désormais les fruits.

Quelle est désormais la part des produits biologiques dans l’ensemble des ventes des enseignes de grande distribution ?

Lissée sur l’ensemble des huit premiers mois de l’année, la part du bio dans les ventes valeur atteint 4%, soit 0,2 point de moins que l’année dernière à la même époque. Les mois de juillet et d’août ont vu la part de bio décroitre encore, autour de 3,8%, mais cette moindre performance est liée à la typologie de produits consommés en été, où le bio est traditionnellement moins fort, telles que les glaces et les boissons.

Selon vos projections, à quel niveau pourrait atterrir le bio en fin d’année 2024 en grande distribution ? Quand pourrait intervenir un retour de la croissance ?

Nous estimons que les volumes de ventes pourraient atterrir entre -5% et -6% en fin d’année. L’année prochaine, le marché devrait encore être en négatif mais dans une moindre mesure, nous l’estimons autour de -2% et -3%. La raison est que je ne constate pas encore d’accalmie autour de la réduction de l’offre, et il y a encore beaucoup de rayons où les volumes de vente baissent. Par ailleurs, cela s’inscrit dans un contexte de baisse de la consommation en grande distribution, et de manière encore plus générale, en France, de diminution de la consommation alimentaire. On ne s’attend pas à une amélioration rapide. Il faut aussi laisser le temps à tous les travaux de fond qui sont menés, notamment les campagnes de communication de l’Agence Bio qui s’inscrivent dans un temps long. En 2026, si les réductions d’offre se tassent, s’il y a de nouveaux investissements sur des innovations bio, et si la pédagogie autour de ces produits a bien été faite, alors, on pourra s’acheminer vers un marché qui retrouvera la stabilité.

François Deschamps
Journaliste - Partner

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