Christophe Barnouin, président de Wessanen, membre de Biovaleurs
Interview

Christophe Barnouin

Président de Wessanen, membre de Biovaleurs
« La bio regroupe un ensemble de pratiques qui vont plus loin que la seule certification bio des produits »
Interview publiée le 3 septembre 2020

Crée en 2017, BIOVALEURS est un cercle de réflexion rassemblant des leaders de la bio en France, ainsi que des entrepreneurs engagés pour une bio plus vertueuse que celle incarnée par le label “AB”. Rassemblés autour de l’idée qu’une autre bio, plus exigeante, est possible, ces décideurs se distinguent aussi par leur volonté de construire une bio résiliente, pérenne, qui repousse toujours plus loin les frontières d’une alimentation qui profite, non pas uniquement à un ou deux maillons, mais à l’ensemble de la chaîne de valeur. Christophe Barnouin, président du groupe Wessanen et membre de BIOVALEURS, a accepté de nous en détailler la philosophie, les objectifs et sa vision de la bio.

Quelle est la vocation de BIOVALEURS ?

Christophe Barnouin : La vocation de BIOVALEURS repose sur l’idée que dans un contexte de développement du bio, les entreprises du secteur doivent mettre en place des pratiques qui vont au-delà de la réglementation AB. D’une certaine manière, il s’agit de différencier LA bio et LE bio, dans un contexte d’explosion du marché où tous les acteurs du conventionnel se sont lancés avec une proposition qui repose uniquement sur des produits portant le label « AB ». A l’inverse, LA bio regroupe un ensemble de pratiques qui vont plus loin que la seule certification bio des produits, en considérant la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, et notamment les relations de partenariat avec la filière amont, la qualité et la naturalité des produits avec simplification des listes d’ingrédients, etc. L’objectif de BIOVALEURS est donc d’observer l’évolution du secteur de la bio, de sensibiliser les acteurs économiques et les décideurs pour rendre ce développement cohérent et respectueux des valeurs fondatrices, tout en nous assurant de la durabilité des systèmes alimentaires.

Qui en sont les membres ?

C.B : Le cercle regroupe des entreprises leaders de la bio comme Biocoop, Wessanen, Léa Compagnie Biodiversité, Biolait Arcadie, Triballat Noyal, Nutrition et Santé, LSDH ou Ecocert, mais aussi des entrepreneurs qui portent des engagements chevillés au corps comme Aventure Bio, Belledone, Biolait ou Organic Alliance. Il y a des entreprises de l’univers de la production, de la transformation, de la certification et de la distribution,. Ce sont des acteurs souvent pionniers dans la Bio et représentant différents maillons de la filière (de la production à la distribution en passant par les services), des profils très différents, mais rassemblés autour d’une vision qui s’inscrit dans une direction cohérente entre nos pratiques et ce que nous vendons.

Sur quels thèmes travaillez-vous ?

C.B : Nous nourrissons plusieurs réflexions pour que le développement de laBio réponde aux enjeux de la transition sociétale, et notamment une réflexion autour du développement d’un modèle de résilience alimentaire. A ce titre, nous interviendrons sur ce sujet lors du salon Natexpo à Lyon, en collaboration avec l’association Les Greniers de l’Abondance. Notre réflexion peut aussi se tourner sur des thèmes comme l’éthique, en posant la question de l’existence d’une éthique particulière dans la bio. L’objectif d’amélioration des pratiques concerne les acteurs de la Bio collectivement et chaque entreprise sur sa sphère d’influence : Toutes les entreprises membres de BIOVALEURS ont mis en place au sein de leur structure des initiatives et des politiques RSE qui sont diverses. Parmi les membres de BIOVALEURS, certaines entreprises ont également fait reconnaître leur engagement sociétal avec une labellisation RSE (BioEntrepriseDurable du Synabio, Ecocert 26000, …). Pour ma part, je suis un adepte de la certification B Corp, le groupe Wessanen est la première et seule entreprise internationale à avoir obtenu cette certification. Charles Kloboukoff (président fondateur de Léa Nature, membre de Bio Valeurs, ndlr) a une approche engagée autour du « 1% pour la planète » (cela consiste à verser 1 % de son chiffre d’affaires au financement d’associations agissant pour l’environnement, ndlr). De son côté, Biocoop est un acteur fondamental des bonnes pratiques en bio, en incitant l’intégralité de ses fournisseurs à monter d’un cran. En sommes, si nous avons des approches différentes, nous nous rassemblons autour de l’envie d’aller plus loin.

Le secteur de la bio a démontré une bonne capacité à absorber une montée en charge de la demande pendant la crise du Covid-19, qu’est-ce qui a permis cela ?

C.B : C’est étroitement lié à la cohérence de notre intégration de l’amont et de l’aval. Lorsque les entreprises traitent avec des producteurs sur du long-terme, comme nous le faisons chez Wessanen avec la marque Alter Eco dont les producteurs du Sud sont partenaires depuis 15 ans à 20 ans, elles leur donnent de la visibilité. Nous disposons ainsi d’une fourniture privilégiée, à un coût pré-agrée des matières premières. En France, il y a des filières françaises et des contrats qui permettent de ne pas être à la merci ni de la disponibilité des produits, ni de la volatilité des prix, ni de la hausse de la demande. Dans le cas de la crise du Covid-19, la demande a progressé, mais la relation que nous nourrissons avec les filières nous ont permis de continuer à être servis.

Il existe donc un grand enjeu autour de la sécurisation des filières…

C.B : C’est un vrai sujet pour les acteurs de BIOVALEURS, qui privilégient des relations avec des filières structurées sur l’amont agricole, à l’inverse de l’opportunisme que l’on peut constater chez d’autres acteurs.

Pensez-vous qu’il existe une bio à deux vitesses en France, et sont-elles opposables ?

C.B : Oui, il y a deux approches de la bio en France. Comme d’autres d’entreprises, nous avons choisi la bio car c’est un modèle différencié, et pas uniquement parce qu’il représente un levier de croissance. Le profit n’est pas l’alpha et l’oméga de nos démarches, qui sont plus larges que cela : prendre des marchés avec des filières, privilégier un apport local et de proximité, choisir le commerce équitable. Nous portons un projet d’entreprise, et des pratiques différentes avec une vraie relation de l’amont agricole, le respect d’une contractualisation à long terme, une volonté de partager le profit quelque soit notre modèle, ou encore un soutien aux plus petits. Or, une partie de nos consommateurs en magasins bio exigent de connaître ce que font nos entreprises au-delà de la certification des produits. Nous avons donc la volonté d’illustrer nos différences. Et tout ceci est en effet opposable à d’autres entreprises, qui sont présentes sur le bio comme elles l’auraient fait sur d’autres sujets qui représentent un champ de croissance.

Nourrissez-vous la volonté de sensibiliser les pouvoirs publics ?

C.B : Nous voulons d’abord nourrir une réflexion. Et une fois celle-ci structurée, la porter en totale cohérence avec les structures professionnelles, dont le Synabio, car en aucun cas, nous ne sommes destinés à remplacer ce dernier, qui est très structuré et dispose de beaucoup de groupes de travail.

L’État va-t-il assez loin dans l’accompagnement du développement de la bio en France ?

C.B : Pendant 50 ans, nous avons favorisé l’agriculture intensive en France. Des aides ont été massivement orientées vers une agriculture productiviste, avec un système verrouillé par une production pro-engrais chimiques. Vu de l’extérieur, je perçois néanmoins un changement, une évolution, et des aides à la conversion bio. Elles ont le mérite d’exister, et l’État depuis une dizaine d’années, met en place des moyens significatifs pour aller dans le sens de l’agriculture biologique.

La Commission européenne s’oriente peu à peu vers un assouplissement du cahier des charges bio, quel est votre regard sur le sujet ? Une bio très exigeante ne présente-t-elle pas le risque d’être réservée à une élite ?

C.B : Nous sommes évidemment contre un assouplissement de la réglementation, et sommes d’ailleurs en lien avec l’IFOAM sur ce sujet. L’affirmation de l’assouplissement est très discutable, car bon nombre de dérogations du règlement précédent ont été supprimés et certaines règles sont plus strictes. Par ailleurs, nous pensons que l’on peut dépasser ces manichéismes qui consistent à dire que si c’est exigeant c’est réservé à une élite. Lorsque l’on observe l’approche de Biocoop dans leurs magasins, force est de constater que c’est de moins en moins élitiste. Ils ont une vision de leur mission, tout comme les marques Bjorg, Bonneterre, ou encore Jardin Bio, qui est de proposer des produits de qualité, ayant une contribution RSE, le tout, à des prix abordables. De ce fait, Jardin bio et Bjorg sont des marques achetées par un grand nombre de personnes. Encore faut-il le faire savoir afin d’orienter nos consommateurs qui sont en demande de réponses sur ces sujets.

Depuis plusieurs jours, l’enseigne Bio c’ bon est au centre de tractations pour trouver un éventuel repreneur. Des distributeurs généralistes et des spécialistes se sont positionnés sur le dossier. Quel est votre point de vue sur cette actualité ?

C.B : Bio C’ Bon est une vraie chaîne de magasins bio, qui propose des gammes spécialisées. C’est une enseigne qui a eu un véritable apport pour la bio. Je n’ai pas d’avis sur leur stratégie, j’ai simplement observé l’extrême rapidité de son développement, avec une contribution à ce qu’il y ait plus de magasins bio en France, notamment à Paris et dans les grandes villes. Cela a eu pour effet de stimuler la croissance des magasins bio. Mais encore une fois, je ne connais pas le dossier. Ce qui m’importe c’est que les repreneurs respectent les chartes des magasins bio, et contribuent à une pratique qui soit mieux-disante, à l’instar de l’enseigne Naturalia (Groupe Casino, ndlr), qui a une approche très exigeante de la bio, respectueuse de ses valeurs.

François Deschamps
Rédacteur en chef de Plan Bio

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