Amélie de Sousa, Analyste chez Nielsen
Interview

Amélie de Sousa

Analyste chez Nielsen
« Les ventes de bio dans le hard-discount progressent de 17%, et l'offre de 30% en 2020 »
Interview publiée le 8 octobre 2020

Une vaste étude menée par l’institut Nielsen dresse un panorama complet du bio au sein de la grande distribution française. Depuis l’analyse de la dynamique du marché, en passant par les enseignes et les circuits les plus performants, jusqu’aux produits présentant les meilleurs potentiels sur le segment bio, Amélie de Sousa, coordinatrice du projet et associate manager chez Nielsen, nous en dévoile les principaux enseignements.

Le bio en GSA affiche un vrai dynamisme mais vous relevez un fléchissement depuis 2019. La dynamique du bio est-elle amenée à se stabiliser ou à l’inverse, risque-t-elle de s’intensifier à la lumière de la baisse annoncée du pouvoir d’achat ?

Pendant le confinement, l’alimentaire conventionnel et le bio ont explosé, alors même que le conventionnel était en difficultés depuis de nombreux mois. Or, la crise sanitaire n’est pas finie, le télétravail va perdurer, et les contraintes strictes dans les restaurants vont amener la consommation à domicile à rester dynamique dans les prochains mois. Le bio va probablement continuer à progresser, mais dans une moindre mesure. Il s’inscrivait dans une hausse de 20% à 25% il y a quelques années, il va plutôt se stabiliser autour de 15%. D’abord parce qu’il représente un certain coût pour les consommateurs, et que tout le monde ne peut pas se permettre de remplir son chariot avec des produits biologiques. Paradoxalement, un autre phénomène peut nuire au bio, celui de la ruée des industriels et des distributeurs sur ce marché. Les consommateurs commencent en effet à se demander si la mention « bio » suffit à justifier des prix plus élevés, si c’est vraiment bon pour la santé, et si le produit ne vient pas du bout du monde. Enfin, il y a un effet mécanique relatif aux lancements de nouveaux produits bio qui est amené s’essouffler. En effet, s’il y a beaucoup d’innovations produits sur le bio, il existe des catégories sur lesquelles le bio n’est pas très performant. Résultat, une fois passé l’effet de lancement, la performance des innovations sur ces catégories s’estompe rapidement.

Parmi tous les circuits de distribution, quels sont ceux qui parviennent à tirer leur épingle du jeu ?

Les circuits de distribution sur lesquels le bio se portent le mieux sont le drive, les supermarchés et les magasins de proximité. Cette réalité est avant tout liée aux profils des acheteurs. S’agissant du drive, c’est un circuit affinitaire avec la cible des familles, or, le bio explose auprès de cette cible. En outre, sur ce circuit, il existe une plus forte présence de produits bio. Par exemple, l’alimentation infantile y est deux fois plus représentée que sur la moyenne à l’échelle de la France. S’agissant des supermarchés et des magasins de proximité, la bonne performance du bio est là aussi guidée par le profil des clients, majoritairement composés de profils aisés. L’exemple des supermarchés Monoprix est frappant. Le bio pèse pour 10% des ventes de l’enseigne, or, il y a 2,5 fois plus d’acheteurs aisés chez Monoprix que sur la moyenne France.

Et s’agissant des enseignes ?

Pour les formats de supermarchés, Monoprix et Carrefour sont les deux enseignes les plus en avance sur le bio, suivi des supermarchés Casino. Il faut néanmoins noter la bonne progression des supermarchés Auchan au sein desquels le bio pesait un peu moins de 4% l’année dernière pour passer à 5,7% cette année. C’est près de deux points supplémentaires. Là encore, c’est lié au profil de leurs clients et à l’implantation des supermarchés au sein de zones de chalandise plus urbaines et plus franciliennes. Concernant E.Leclerc, c’est l’enseigne qui a la plus grosse part de marché sur le bio, mais ce résultat est lié au poids de l’enseigne sur le total des PGC en France. Enfin, concernant le format des hypermarchés, en dehors de Carrefour, il y a un retard de quasiment toutes les enseignes sur le bio.

Qu’en est-il du bio dans les enseignes de hard-discount ?

Les ventes de bio dans les enseignes de hard-discount progressent de 17%, et l’offre, c’est à dire le nombre de références bio en magasins, augmente de 30% en 2020. C’est le réseau de distribution où l’offre en bio progresse le plus. Lidl et Aldi ont bien compris que le bio est une tendance forte. Depuis plusieurs années Lidl propose des produits biologiques, et ça fonctionne. Ils ont bien conscience de leur atout lié aux prix, ce qui permet de répondre à une attente de leur cible plus modeste. De plus, c’est un argument fort pour recruter des clients parmi une cible moins modeste, grâce à une offre bio moins chère que dans les circuits des hypermarchés et des supermarchés.

Les MDD bio enregistrent une meilleure performance que les produits bio des marques nationales. Quelles en sont les raisons ?

La sur-performance des MDD bio par rapport aux marques des grands industriels est clairement liée aux prix des produits, à la faveur des MDD. Si une MDD bio est plus chère qu’une MDD conventionnelle, un profil d’acheteur aisé se tournera plus facilement vers une MDD bio. Idem s’il a le choix pour un produit vendu sous MDD bio et sous marque nationale. Il faut dire que sur certains produits, le prix entre une MDD bio et un produit biologique d’une marque nationale peut être jusqu’à deux fois plus élevé. Si le bio est plus cher pour les fabricants, contraints d’augmenter les prix de leurs produits, le gap de prix n’est pas toujours justifié aux yeux d’un consommateur. Une valeur ajoutée supplémentaire au produit est alors importante pour justifier d’importantes différences de prix. Enfin, les MDD bio rencontrent un grand succès parce qu’elles permettent d’ouvrir le bio à des foyers plus modestes.

Quels produits se démarquent particulièrement ?

Ce sont surtout les catégories regroupant des produits bruts. Autrement dit, plus le produit est peu élaboré, plus le bio va être légitime. Cela concerne notamment le lait, les œufs, ou encore les huiles, notamment l’huile d’olive. On le constate aussi au sein d’une même catégorie. Par exemple le café bio arabica vendu en grain est plus performant que celui vendu en dosettes. A contrario, le consommateur ne perçoit pas bien la valeur ajoutée du bio sur des produits très transformés. Car ils ont beau être biologiques, ils contiennent du sucre, du sel, des additifs, etc.

Les grands industriels peuvent-ils encore rattraper leur retard face aux MDD ?

Les grands industriels, dans leur grande majorité, se lancent sur le bio. Mais ils ne peuvent pas tout changer du jour au lendemain, notamment parce que le conventionnel est encore au cœur de leur activité. Aussi, ils doivent composer avec le fait que les produits biologiques sont plus coûteux à produire. Pour les marques, c’est assez compliqué de justifier des différences de prix très importantes sur une même gamme de produits. Certains ont fait le choix de basculer entièrement en bio. C’est notamment le cas de la marque Lipton qui a switché ses plus grosses références de thés en bio. C’est un pari, mais qui n’est pas facile à tenir. En effet, si la marque s’y retrouve en terme de valorisation, grâce à un prix de vente plus élevé, les ventes en volume ont en revanche fortement baissé. Nous pouvons imaginer que certains consommateurs, n’ayant pas retrouvé leur thé Lipton classique, ont choisi de ne pas acheter son équivalent en bio. Ou alors se sont rabattus sur une autre marque. C’est là toute la difficulté pour les marques, qui ne peuvent pas se passer de leurs produits « core-business ».

Quel rapport le bio entretient-il avec les promotions ?

Globalement, les produits biologiques sont assez peu promotionnés par rapport aux conventionnels, même si ça progresse un peu. Par ailleurs, ce ne sont pas les promotions qui attirent les consommateurs vers le bio. Et même en promotions, un produit bio générera moins de ventes qu’un produit conventionnel. Aussi, pour les industriels, le retour sur investissement d’un produit biologique en promotion est beaucoup plus faible que sur un produit conventionnel.

A côté du bio, de nombreuses tendances se développent comme le Made in France, le local ou la réduction des emballages plastique. Peuvent-elles supplanter le bio en GSA ?

Les consommateurs, qu’ils achètent du bio ou non, s’intéressent beaucoup à ces tendances. Elles s’inscrivent dans une logique qui consiste à vouloir consommer « mieux pour moi et mieux pour la planète ». La tendance du local par exemple est de plus en plus prégnante, avec un fort dynamisme des PME sur le sujet. Chez le consommateurs, il y avait déjà une forte volonté d’aller vers les produits locaux plus que bio, avant la crise sanitaire. Le confinement a accentué ce phénomène. Aujourd’hui, nous sommes à la limite de penser que la dimension locale des produits va être plus importante que le bio dans les années à venir. Parallèlement, il existe de nombreuses initiatives visant à réduire les emballages des produits, avec un accueil client plutôt positif. Par exemple, la marque Daddy a changé l’emballage de son doypack pour du carton, avec un indice de prix de 125. Et le produit performe assez bien en magasin. Si sa performance est moins élevée que celle du produit « classique », elle se situe tout de même entre 85% et 90% des ventes du conventionnel. On en conclut que le consommateur nourrit un vrai intérêt, qu’il peut constater concrètement les changements opérés, et qu’il est moins influencé par l’effet prix. Enfin, ce que nous appelons les « clean labels » comme le Nutriscore, les mentions autour de la réduction de sel ou du sans sucre, sont des initiatives parlantes pour les consommateurs. Attention toutefois à les utiliser de manière pertinente car elles ne fonctionnent pas sur toutes les catégories de produits, comme en confiserie où les consommateurs veulent se faire plaisir, et sont moins intéressés par les produits vegan ou contenant moins de sucre.

François Deschamps
Rédacteur en chef de Plan Bio

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