C’est une année en demi-teinte qui vient de se clore pour le marché bio. D’une part, les distributeurs spécialisés dont les performances sont très encourageantes, enregistrent un retour à la croissance de l’ordre de 8 %. D’autre part, les enseignes de la grande distribution n’ont pas encore trouvé la bonne équation leur permettant d’endiguer la baisse des ventes de produits biologiques, estimée à – 4,7 % en valeur et – 6,1 % en volume par l’institut Circana (PGC FLS). Multifactorielle, cette asymétrie de performances entre les réseaux de distribution fera de l’année 2025, à n’en pas douter, une période clé pour l’ensemble de la filière bio, de l’amont à l’aval, dans un contexte politique et économique constellé d’incertitudes qui rejaillissent sur la consommation des Français. Sur cette base, et à travers l’observation des évolutions constatées en 2024, la rédaction a identifié 10 enjeux et tendances qui animeront le secteur en 2025. Tour d’horizon.
La consolidation du secteur en marche
Plusieurs acquisitions significatives ont marqué le secteur en 2024. Du côté des grossistes par exemple, Organic Alliance a racheté le metteur en marché Pronadis. Au mois de mai dernier, le groupe carpentrassien Relais Vert annonçait son union avec le groupe Propolis Développement, qui recouvre la société Dynamis, ses filiales régionales Halle Bio d’Occitanie et Halle Bio d’Aquitaine ainsi que l’importateur Bonabio. Du côté des fabricants, on pourrait citer Léa Nature qui a mis la main sur l’activité vrac d’ABCD Nutrition (Biothentic), Comptoir des Lys avec le rachat de la marque d’hygiène beauté Acorelle, l’acquisition de la marque Atelier Sarrasin par Favrichon, ou encore Un Air d’Ici (Juste Bio) qui s’est offert la marque Go Nuts.
Gageons que 2025 s’inscrira dans une dynamique similaire à celle de 2024 pour permettre aux acteurs d’absorber d’éventuels soubresauts du marché. Plus calme en revanche chez les distributeurs, malgré une année 2024 marquée par des négociations infructueuses visant un rapprochement entre les Comptoirs de la Bio et l’enseigne naturéO. La surprise pourrait venir de la grande distribution, et notamment du groupe Carrefour qui, par la voix de son directeur du marché bio, Benoît Soury, confiait dans nos colonnes vouloir « repartir dans une stratégie de conquête, soit par des créations de magasins soit par des acquisitions ou des ralliements ».
Enfoncer le clou de l’accessibilité prix
Pas une enseigne bio spécialisée ne dira le contraire. Toutes se sont attelées à travailler le sujet des prix. Pression promotionnelle accrue, marges rognées, négociations commerciales fructueuses avec les fabricants, répercussions de la baisse de l’inflation sur certaines denrées… Un lourd travail, sur lequel les enseignes telles que leader Biocoop ou de Naturalia pour ne citer qu’elles, n’ont pas manqué de communiquer. Et qui a porté ses fruits puisque toutes ont pu constater dans quelle mesure ces efforts leur ont permis de traverser la crise sans perdre trop de plumes.
Cette question de l’accessibilité s’est peu à peu démocratisée parmi les spécialistes, mais aussi chez le groupe Carrefour, dont la signature Carrefour Bio a l’ambition de devenir en 2025 la marque bio la moins chère de France. De quoi inciter les spécialistes à affirmer encore leur compétitivité cette année, tant l’image d’une bio trop coûteuse est à déconstruire dans l’esprit des Français. Tant aussi ils ont à gagner à communiquer sur les efforts tarifaires qu’ils déploient. Pour preuve, le succès de l’e-commerçant bio La Fourche, qui ambitionnait un chiffre d’affaires de 70 millions d’euros en 2024 contre 52 millions d’euros un an plus tôt et qui martèle encore et encore que ses tarifs sont moins élevés que ceux de ses concurrents.
La grande distribution à l’heure des choix
Trop c’est trop ? La réduction des assortiments de produits bio dans les rayons des GMS a continué en 2024 (-7 %), en dépit d’une légère décélération par rapport à 2023. Le douloureux recentrage de l’offre bio sur les références les plus performantes devrait toutefois continuer à ralentir en 2025. Pour autant les observateurs du secteur se montrent prudents lorsqu’il s’agit d’évoquer une période de retour à la croissance généralisée des ventes de produits biologiques en GMS. Des poches de progression existent déjà notamment dans les rayons d’épicerie mais aussi du côté des marques de distributeurs, mais elles sont encore fébriles.
Ceci étant posé, l’heure des choix a sonnée pour les grandes surfaces. Entre coups de communication et véritables engagements, les grands patrons de la distribution semblent tendre de plus en plus la main à une consommation plus durable : retrait des fraises en hiver pour Thierry Cotillard (Intermarché), soutien aux éleveurs laitiers français pour Michel-Edouard Leclerc (E.Leclerc) ou encore engagement pour les filières de viandes 100 % tricolores pour Dominique Schelcher (Système U). Soutenir la filière et le marché bio, c’est réinvestir dans son succès : valoriser davantage l’offre en rayon, redéployer des corners dédiés, travailler davantage l’accessibilité prix ou encore mettre en place une vraie dynamique promotionnelle. Le distributeur Carrefour fait partie des rares à avoir communiquer sur sa stratégie en 2025. Gageons que d’autres lui emboîteront le pas.
Le nécessaire redémarrage du non-alimentaire
Le constat est unanime. Le secteur du non-alimentaire bio a vu ses ventes s’effondrer en 2024 dans les magasins bio comme en grande distribution où la baisse des volumes a atteint -13,5% sur les 8 premiers mois de l’année 2024. C’est un défi de taille, sur lesquels les distributeurs vont continuer à s’affairer en 2025, le non-alimentaire demeurant un contributeur en termes de marge à ne pas négliger. Divers chantiers pourraient être menés autour de l’offre et des assortiments, des prix, du conseil ou encore du réemploi.
D’autant qu’en dépit de cette morosité autour du non-alimentaire, quelques marques parviennent à tirer leur épingle du jeu. A l’instar d’Avril, qui essaime avec brio ces références en magasins bio. Par ailleurs, notre baromètre mensuel sur l’activité du non-alimentaire en pharmacies, qui montre bien le dynamisme de ce circuit de distribution sur le sujet, peut contribuer à fournir des clés quant aux dynamiques en présence, potentiellement duplicables à d’autres réseaux.
Saisir l’essor du végétal
C’est un phénomène qui touche à de nombreux pans de la société. Les alternatives végétales aux protéines animales sont plus économiques pour les consommateurs, moins gourmandes en ressources à la production, et présentent des atouts pour la santé de celles et ceux qui en consomment. Depuis quelques années, les fabricants multiplient les initiatives sur ce segment de marché, et les marques fleurissent. Du spécialiste bio Nudj en passant par la jeune pousse Hari&Co, La Vie, Happyvore, ou encore le mastodonte Fleury Michon et les historiques Céréal Bio et Bjorg, les lancements de produits se sont multipliés.
C’est un marché en plein essor estimé à plus de 320 millions d’euros par Circana qui devrait continuer à grossir en 2025. Les alternatives végétales doivent néanmoins faire face à de nombreux défis, notamment autour de l’ultra-transformation, ou encore auprès d’une frange de la population qui peut se montrer encore réfractaire. De plus, elles ne sont pas non à l’abri de nouveaux revers juridiques, suite à la décision de la cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’autoriser l’emploi de termes empruntés à l’univers carné (« steaks », « saucisses », « lardons », etc.) pour caractériser certains de leurs produits.
Apporter des réponses aux attentes de transparence alimentaire
C’est un sujet de consommation auquel de plus en plus de Français sont sensibles, il est aussi éminemment politique. L’origine des produits qu’ils achètent, leur lieu de fabrication, leur impact sur la santé mais aussi sur l’environnement sont autant d’éléments qui participent de la transparence alimentaire. La popularité du Nutri-Score, dont la pertinence du nouvel algorithme a de nouveau été démontrée par l’Inserm, et le développement progressif du Planet-score en sont des exemples. On pourrait également souligner l’initiative portée par le gouvernement au printemps 2024 de lancer un nouveau logo pour plus de traçabilité : Origin’Info. Et pourquoi pas, en 2025, les trois réunis ?
Militant en faveur de plus de transparence autour de l’alimentation, c’est bien ce que plaide le collectif En Vérité à la faveur d’un affichage intégral et harmonisé pour toutes les marques, recouvrant à la fois le Nutri-Score, le Planet-score et Origin’Info. De nombreuses marques et enseignes ont déjà saisi l’enjeu de la transparence alimentaire en affichant dès l’an passé l’un ou l’autre de ces logos. Parmi les distributeurs spécialisés, a notamment lancé au mois de novembre son premier produit à sa marque estampillé du logo « Origin’Info ». Un premier pas qui doit rapidement donner lieu à un déploiement plus large en 2025. Autre exemple chez les distributeurs généralistes, Picard met en avant le Planet-score sur l’ensemble de son catalogue de produits, soit plus de 1 000 références. Chez le spécialiste des surgelés, près de 8 produits biologiques sur 10 affichent la note A. Appliquée au bio, la transparence alimentaire joue très souvent en sa faveur.
La restauration hors domicile, nouvel eldorado du bio ?
L’Agence Bio le martèle depuis de nombreux mois déjà, la restauration hors foyer est un levier de développement majeur pour le secteur. Un débouché néanmoins largement sous-exploité en dépit des exigences de la loi EGalim qui fixait, pour 2022, un objectif de 20% de produits bio dans les cantines. En 2023, les dépenses en bio atteignaient seulement 6,2 % dans les établissement de restauration collective et à peine plus de 1% dans la restauration commerciale.
Pour autant, qu’il s’agisse de Markal, d’Organic Alliance, mais aussi du groupe Olga, de la marque Jay & Joy, de la Scop Ethiquable et de la filiale restauration de Biocoop, nombreux sont les acteurs de la bio à avoir notablement accéléré sur ce circuit. Si l’on ne peut donc pas encore parler de phénomène généralisé, loin s’en faut, les professionnels de la bio prennent peu à peu la mesure de son potentiel. Après avoir vu les initiatives se multiplier en 2024, l’année 2025 pourrait bien être celle de l’accélération du bio en RHD.
Redonner ses lettres de noblesse au label bio
La baisse de la consommation en produits biologiques des ménages français résulte en partie d’une « crise de confiance » envers le label bio. Selon les résultats du baromètre annuel de l’Agence Bio (février 2024), 1 Français sur 2 va jusqu’à exprimer des doutes sur la véracité du bio. Et tandis que la multiplicité des labels et des allégations commerciales engendrent de la confusion, ils sont 62 % à estimer que le bio c’est « surtout du marketing ».
En 2025, les acteurs de la filière vont devoir redoubler de pédagogie pour expliquer les atouts du label, garant d’un niveau élevé de qualité des produits. Un label qui se veut écologique, avec des pratiques agricoles qui donnent lieu à de véritables externalités positives sur l’environnement, la biodiversité et les êtres vivants. La mauvaise image prix dont il pâtit toujours devra aussi faire l’objet d’une véritable démystification.
Politique : affronter les ventes contraires
2024 est une année résolument marquée par les mobilisations agricoles, en lien avec la définition de la loi d’orientation agricole. La grogne des agriculteurs englobait de nombreux sujets, depuis les niveaux de rémunérations trop bas, en passant par les surtranspositions de règles européennes et françaises, la dénonciation d’une concurrence déloyale de denrées provenant de l’étranger jusqu’aux normes environnementales jugées trop contraignantes. Les agricultrices et agriculteurs bio, s’ils sont restés en retrait des mobilisations des syndicats majoritaires contre l’accord du Mercosur à l’automne, n’ont pas été en reste pour dénoncer le manque de soutien du gouvernement face à la crise de la filière.
Qu’en sera-t-il de 2025 dans ce contexte, qui plus est complexifié par une instabilité politique encore plus prégnante avec la succession de nouveaux gouvernements depuis la dissolution de l’Assemblée nationale au mois de juin dernier. Depuis plusieurs années, les exploitants bio font preuve d’une résilience remarquable, mais l’année 2025 pourrait s’avérer plus difficile encore, nonobstant un soutien clairement affiché de la part de l’État.
Tensions sur les matières premières
Changement climatique, crise géopolitique, mauvaises récoltes, hausse des coûts des importations… les facteurs exogènes et endogènes impactant les prix des matières premières ainsi que leurs disponibilités sont pluriels. Nous l’avons vu l’an passé avec l’huile d’olive qui a atteint des pics de prix historiques, mais pouvant néanmoins refluer en 2025, sans toutefois retrouver immédiatement les niveaux de prix préalables à leur envolée.
Idem pour le cacao dont les prix ont explosé sous l’effet de récoltes impactées par la hausse des températures sur le globe et à propos duquel le directeur général de Kaoka, Guy Deberdt, tirait la sonnette d’alarme notamment s’agissant de la disponibilité de la matière pour les temps à venir. « En Équateur, au Pérou ou encore en République dominicaine, les exploitations bio ne sont pas épargnées. En Côte d’Ivoire et au Ghana, les plantations sont vieillissantes, de moins en moins productives et clairement pas adaptées à l’évolution des températures et de la pluviométrie« . Tomates, pommes de terre, blé tendre… Pour de nombreuses matières premières bio, les indicateurs sont déjà dans le rouge pour l’année à venir. De quoi complexifier tout le travail des fabricants et des distributeurs autour de l’accessibilité tarifaire ou des engagements en matières d’origine et de transparence.